Éditeur : Actes Sud
Date de parution : 19 août 2015
176 pages
4ème de couverture :
Photographe de guerre, Etienne a toujours su aller au plus près du danger pour porter témoignage. En reportage dans une ville à feu et à sang, il est pris en otage. Quand enfin il est libéré, l’ampleur de ce qu’il lui reste à réapprivoiser le jette dans un nouveau vertige, une autre forme de péril.
De retour au village de l’enfance, auprès de sa mère, il tente de reconstituer le cocon originel, un centre depuis lequel il pourrait reprendre langue avec le monde.
Au contact d’une nature sauvage, familière mais sans complaisance, il peut enfin se laisser retraverser par les images du chaos. Dans ce progressif apaisement se reforme le trio de toujours. Il y a Enzo, le fils de l’Italien, l’ami taiseux qui travaille le bois et joue du violoncelle. Et Jofranka, « la petite fille qui vient de loin », devenue avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes de guerres à trouver le courage de mettre en mots ce qu’elles ont vécu.
Ces trois-là se retrouvent autour des gestes suspendus du passé, dans l’urgence de la question cruciale : quelle est la part d’otage en chacun de nous ?
De la fureur au silence, Jeanne Benameur habite la solitude de l’otage après la libération. « Otages intimes » trace les chemins de la liberté vraie, celle qu’on ne trouve qu’en atteignant l’intime de soi.
Mon avis :
J’ai eu l’occasion de lire ce livre de Jeanne Benameur dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire organisés par PriceMinister.
Je connaissais plutôt Jeanne Benameur en tant qu’auteur jeunesse, car j’ai eu l’habitude de croiser ses romans (notamment ceux des éditions Thierry Magnier) sur les étagères de ma bibliothèque quand j’étais plus jeune. C’est donc avec plaisir que j’ai redécouvert cette auteure dans ce roman d’un autre genre.
Le sujet abordé dans ce roman peut effrayer. On y suit Etienne, ancien otage qui vient d’être libéré et revient en France. Plus encore que la thématique de la captivité, ce livre traite surtout de son retour à la vie, auprès de sa famille, de ses amis, et de sa réadaptation au monde.
Etienne revient auprès de sa mère, dans ce village où il a grandi auprès de ses amis d’enfance, Enzo et Jofranka. Ce village près du petit torrent et de la forêt où ils ont évolué tous les trois, suivant ensuite chacun leur propre chemin.
L’écriture de Jeanne Benameur est belle et surprenante. On passe des pensées d’un personnage à l’autre sans s’en rendre compte, d’une intimité à l’autre. Ces fréquents changements de point de vue pourraient gêner, ils nous entraînent en fait dans l’esprit des autres personnages, dont les émotions, les pensées, les envies ou les choix sont agités par le retour d’Etienne.
J’ai aimé la relation qui existe entre Etienne et sa mère d’une part, et entre lui et ses deux amis d’enfance d’autre part. Une relation à la fois pudique et respectueuse, attentive et juste, parfois confuse également. Je me suis sentie proche de tous ces personnages et j’ai eu l’impression de partager leurs doutes et leurs prises de décision pendant ces quelques 200 pages.
J’ai également pu effleurer à travers ce roman ce que peuvent ressentir les proches d’une personne retenue en otage : doit-on l’attendre ? Doit-on continuer à vivre durant son absence ? Et au fond le peut-on ?
Ce roman renvoie également à ce qui fait de nous des êtres humains : les émotions que l’on ressent, les choix que l’on fait, les automatismes auxquels on ne réfléchit plus… Toutes ces choses qu’Etienne a appris à contrôler et à taire durant sa captivité, ou qu’il a au contraire tenté de préserver. Ces choses qui font de lui un être vivant et libre.
Rien. Ne plus être rien. Ne plus rien savoir du monde, de personne. S’obligeant à parler à voix haute pour ne pas perdre la langue. Il paraît qu’on peut perdre jusqu’à l’articulation des mots. Peur de devenir une bête. Juste une bête qui attend de quoi se nourrir et tenir en vie, encore. Peur de ne plus jamais pouvoir être un visage face à un autre visage. Peur de devenir un sans-âme un plus rien.
« Otages intimes » est un roman que j’ai beaucoup aimé, malgré son sujet difficile et les vives émotions qu’il a pu parfois provoquer chez moi. Je pense que je relirai avec plaisir un autre roman de cette auteure.
Quelques citations de ce roman :
Ce soir, il laisse sa main ouvrir lentement les pages. Il a besoin du silence des mots écrits. L’évidence, elle est là. Il a besoin des mots. Lui qui a rapporté tant d’images qui laissent sans voix il lui faut des mots. Pour tenter de comprendre. Il a besoin de retrouver le sens à sa racine. Il lui faut retourner à l’étymologie pour se guider. Comprendre.
[…] Vous savez vraiment ce que ça va être votre vie si vous partez là-dedans ? On vous a avertis ? Les grands reportages, les guerres, on vous a dit que ça peut tuer la vie de ceux qui bêtement vous attendent pour vous tenir la main, vous dire qu’ils vous aiment. On vous a avertis que tout ça au fil des années ça s’effrite et qu’un jour il n’y a plus personne qui vous attend ?
Se remettre… non, il ne se remettra pas. On ne peut pas se remettre de ça. Les atrocités vues dans le monde vous prennent une part de vous. Pour toujours. Alors non, on ne se remet pas. Pour vivre, il faut inventer une nouvelle façon. On ne peut pas juste reprendre la vie d’avant. Son fils a connu la peur dans tout son être, la barbarie possible en chacun. Il lui faut inventer la douceur quand même, la paix quand même, la beauté quand même.
Il lui faut inventer le visage neuf des jours neufs.Son pas aura désormais cette fragilité de qui sait au plus profond du cœur qu’en donnant la vie à un être on l’a voué à la mort. Et plus rien pour se mettre à l’abri de cette connaissance que les jeunes mères éloignent instinctivement de leur sein. Parce qu’il y a dans le premier cri de chaque enfant deux promesses conjointes : je vis et je mourrai. Par ton corps je viens au monde et je le quitterai seul.
Ce livre a été lu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire 2015 organisés par PriceMinister. Merci à Noukette d’avoir sélectionné ce livre à cette occasion !