The Vanishing Act of Esme Lennox
Éditeur : 10-18
Collection : Domaine Étranger
Date de parution originale : 2006
Date de parution française : 2008
231 pages
4ème de couverture :
A Édimbourg, un asile ferme ses portes, laissant ses archives et quelques figures oubliées ressurgir à la surface du monde. Parmi ces anonymes se trouve Esme, internée depuis plus de soixante ans et oubliée des siens. Une situation intolérable pour Iris qui découvre avec effroi l’existence de cette grand-tante inconnue. Quelles obscures raisons ont pu plonger la jeune Esme, alors âgée de seize ans, dans les abysses de l’isolement ? Quelle souffrance se cache derrière ce visage rêveur, baigné du souvenir d’une enfance douloureuse ? De l’amitié naissante des deux femmes émergent des secrets inavouables ainsi qu’une interrogation commune : peut-on réellement échapper aux fantômes de son passé ?
Mon avis :
« L’étrange disparition d’Esme Lennox » est un roman que j’ai découvert un peu par hasard, notamment grâce à sa couverture que je trouvais très jolie et captivante. Je l’ai lu il y a quelques mois, à une époque où je lisais peut-être un peu trop de romans traitant de familles et de leurs secrets enfouis (« Le goût des pépins de pomme » de Katharina Hagena, « La pluie, avant qu’elle tombe » de Jonathan Coe…), ce qui explique le léger flou dans lequel je place aujourd’hui ce livre. Je me souviens l’avoir beaucoup apprécié, mais je crois que je confonds beaucoup d’éléments avec le livre de Jonathan Coe. On va donc voir ce que j’arrive à récupérer de mes souvenirs.
Dans ce roman, on suit Iris, une jeune femme indépendante et bien dans sa peau vivant à Édimbourg. Un jour, elle découvre avec surprise qu’elle a une grande-tante , prénommée Esme, ayant vécu toute sa vie dans un hôpital psychiatrique. Rapidement touchée par cette femme dont elle se sent proche, elle va tenter de découvrir les raisons du mystère qui entoure cette femme haute en couleurs : pourquoi n’a-t-elle jamais entendu parler d’elle ? Pourquoi Esme a-t-elle été enfermée dans cet hôpital à l’âge de 16 ans ?
Au début de ma lecture, j’ai parfois été quelque peu décontenancée par les changements de narration, puisqu’on passe de scènes racontées par un narrateur extérieur à l’histoire à des passages reprenant les pensées de certains personnages du roman. Ces derniers passages sont au début assez obscurs à saisir, d’autant plus qu’ils sont racontés par des personnages dont la mémoire s’effrite peu à peu..
Passé cela cependant, on entre rapidement dans le cœur même de la vie d’Esme, et des évènements qui l’ont menée dans cet hôpital. On débute avec son enfance en Inde (les ambiances m’ont d’ailleurs fait penser à la bande dessinée « India dreams » de Maryse et Jean-François Charles), auprès de sa sœur Kitty et de ses parents, jusqu’à l’année fatidique de ses 16 ans. Sa courte enfance puis adolescence voit défiler des évènements pour le moins traumatisants, mais elle vit malheureusement à une époque où l’on ne montre pas ses sentiments, et où la meilleure chose à faire est d’encaisser et de se taire..
Dès le début, j’ai été touchée par le personnage atypique d’Esme. Ses proches ne la comprennent pas, la voyant capricieuse quand elle est d’une sensibilité extrême, irrespectueuse et désobéissante quand elle se montre anticonformiste. A travers ce personnage, on conçoit les difficultés que pouvait éprouver une femme éprise de liberté et d’autonomie, à une époque où la société ne l’y autorisait pas.
J’ai aimé également le lien tendre et teinté de respect mutuel qui se tisse rapidement entre Esme et Iris. Ces deux femmes, qui ont vécu à des décennies d’écart, sont pourtant éprises des mêmes envies de liberté dans leurs choix de vie. La redécouverte du quotidien par Esme, elle qui n’a jamais été libre de ses mouvements durant ces années en hôpital psychiatrique, est particulièrement touchante. C’est avec une joie parfois enfantine qu’elle s’approprie peu à peu la vie dans l’appartement d’Iris.
Ce roman est pour moi un roman fort sur la liberté de vivre, mais qui traite également des notions de jalousie, de pardon et de souvenir. Ce n’est pas un roman extrêmement gai, c’est certain, plutôt un livre émouvant et parfois révoltant, dans lequel on est rapidement happé par la vie trop tôt brisée de cette drôle et touchante Esme Lennox.
» Toute sa famille […] se résume à présent à cette fille, la seule qui reste. Ils se sont tous réduits à cette brune assise sur le sable, qui ignore que ses mains, ses yeux, sa façon de pencher la tête, le mouvement de ses cheveux sont ceux de la mère d’Esme. Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités, songe Esme : on nous transmet des traits, des gestes, des habitudes, et nous les transmettons à notre tour. Rien ne nous appartient en propre. Nous venons au monde en tant qu’anagrammes de nos ancêtres. » p.119
» « Pose ton livre, Esme, lui avait dit sa mère. Tu as assez lu pour ce soir. »
Elle en était incapable, car les personnages et le lieu de l’action la captivaient. Soudain, voilà que son père se tenait devant elle, lui arrachait le livre, le fermait sans marquer la page. Ne restait plus alors que la pièce dans laquelle elle se trouvait. « Fais ce que dit ta mère, pour l’amour de Dieu », disait-il.
Elle se redressa, la rage bouillonnant en elle, et, au lieu de demander : « S’il te plaît, rends-moi mon livre », elle lâcha : « Je veux continuer l’école ».
Ce n’était pas prévu. Elle savait que le moment était mal choisi pour aborder ce sujet, que la discussion ne servirait à rien, mais ce désir était aigu en elle, et elle n’avait pas pu s’en empêcher. Les mots avaient jailli de leur cachette. Sans son livre, ses mains se sentaient curieuses et inutiles, et le besoin de continuer l’école s’était exprimé par sa bouche à son insu.
Un silence s’empara de la pièce. La grand-mère regarda son fils, Kitty leva les yeux sur leur mère, puis les baissa sur son ouvrage. […]
« Non, répondit son père.
– S’il te plaît ». Esme se leva, s’étreignant les mains pour les empêcher de trembler. « Mlle Murray dit que je pourrais obtenir une bourse et ensuite, peut-être, tenter l’université et…
– Ça ne servirait à rien, trancha son père en se rasseyant dans son fauteuil. Pas question que mes filles travaillent pour vivre. » «
Autour du livre :
- Maggie O’Farrell est une écrivaine britannique née en 1972 en Irlande du Nord. Elle a grandi au Pays de Galles et en Écosse. Après une courte carrière de critique littéraire, elle se consacre totalement à l’écriture à la suite du succès de son premier roman, « Quand tu es parti« , publié en 2000. Elle a publié par la suite « La Maîtresse de mon amant » en 2002, « La distance entre nous » en 2004, qui a reçu le prix Somerset-Maugham, et « Cette main qui a pris la mienne » en 2010.
- Sur la page Wikipédia consacrée à l’écrivaine, une analyse très intéressante des thèmes récurrents dans ses romans est proposée. On y apprend que ses romans se caractérisent avant tout par une intrigue se déroulant dans des pays anglo-saxons dans lesquels Maggie O’Farrell a vécu, par une pluralité des voix, un mélange du passé et du présent dans la narration, ainsi qu’un sujet souvent centré autour d’une famille, généralement sur plusieurs générations. L’émancipation des femmes, la difficulté des relations fraternelles, la perte des être chers et la sentimentalité extrême des personnages sont également des thèmes fortement développés par l’auteure dans ses œuvres.