Éditeur : 10/18
Collection : Domaine étranger
Date de parution originale : Décembre 1817 (achevé en 1803)
Date de parution française : 1824
285 pages
4ème de couverture :
Une jeune provinciale de bonne famille est envoyée à Bath, prendre les eaux, pour faire son apprentissage du monde et des intermittences du cœur. L’héroïne se retrouve égarée au milieu de conjonctures qui la rabaissent aux yeux du lecteur. En toute occasion, elle se comporte en référence à son livre de chevet, « Les mystères d’Udolphe » de Mrs Radcliffe.
Mon avis :
Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en commençant ce roman de Jane Austen. « Northanger Abbey » n’étant pas le roman de l’auteure dont on parle le plus, je m’attendais peut-être à être un peu déçue par rapport aux quatre autres romans que j’avais lus, me disant qu’il ne serait peut-être pas aussi bien.. Et bien je dois dire que je me suis trompée, et que pour la 5ème fois, j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les aventures des personnages mis en scène par cette chère Jane, et plus particulièrement celles entourant le personnage de Catherine Morland.
Je trouve d’ailleurs que les 4èmes de couverture que l’on peut lire de ce roman sont un peu sévères avec ce personnage principal. Alors oui, Catherine Morland vit dans ses livres et est un peu naïve, oui elle croit aux histoires racontées dans ses romans gothiques et ne rêve que d’une chose, vivre dans une ancienne abbaye en ruine, mais j’ai personnellement trouvé sa naïveté très touchante. Tout au long de ma lecture, je me suis attendue à un retournement de situation qui me ferait ne plus apprécier ce personnage, mais non, il faut bien dire ce qui est, j’ai trouvé cette Catherine Morland droite et honnête, et elle fait même partie des personnages de Jane Austen auxquels je me suis le plus attachée.
J’ai beaucoup aimé mon incursion dans la ville de Bath, dans laquelle la bonne société anglaise de l’époque « prenait les eaux ». Comme d’habitude dans les romans de Jane Austen, on observe les journées fort remplies et mouvementées des personnages : on se balade, on va au bal, on discute, on va au théâtre, on critique les autres, on s’esclaffe, et finalement on ne fait rien d’autre… Comment mieux retranscrire cela qu’à travers la tournure de la page 73, « une laborieuse journée d’oisiveté« . Au milieu de cela, Catherine découvre pour la première fois la vie mondaine, l’amitié aussi, et les premiers émois amoureux évidemment.. J’ai beaucoup aimé la voir appréhender ce monde mystérieux pour elle, j’ai aussi eu un peu peur pour elle, notamment qu’elle se fasse manipuler par ses nouveaux « amis », mais non, Catherine reste droite dans ses bottines et c’est pour cela que j’ai beaucoup aimé ce personnage.
Comme toujours, Jane Austen égraine son roman de quelques pointes d’humour, que j’ai parfois trouvées un peu moins subtiles que d’habitude, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient moins drôles. Dès le début, on comprend que l’auteure se moque gentiment de son héroïne et justement de son caractère de non-héroïne. L’amie de Catherine, Mrs Allen, a elle aussi droit à quelques remarques ironiques très plaisantes, qui m’ont fait apprécier mon irruption dans cette société mondaine aux relations superficielles. Les gens se parlent, mais ne s’écoutent pas.. On s’extasie de se retrouver, mais on préfèrerait être ailleurs. Mais le summum de l’exaspération revient pour moi à Mr. Thorpe (et à sa sœur dans une certaine mesure), symboles de l’hypocrisie et de la fierté mal placée… Comme d’habitude dans les romans de Jane Austen, j’ai été ravie de la fin de ce roman, et du destin dévolu à chacun de ces personnages.
Je vous laisse avec quelques extraits du roman que je trouve particulièrement bien écrits et bien sentis, notamment ceux qui se moquent des romans en général. Après cela, qu’on ne vienne pas me dire que les classiques sont ennuyeux et sans humour..
» Personne ayant jamais vu Catherine Morland dans son enfance ne l’eût supposée née pour être une héroïne. Sa situation dans l’existence, le caractère de son père et celui de sa mère, sa propre personne et son tempérament, tout s’opposait également à ce qu’elle en fût une un jour. Son père était clergyman sans être pour cela ni méprisé ni pauvre, et c’était un monsieur très respectable, bien qu’il eût pour nom celui de Richard*… […] La mère de Catherine était une femme dotée d’un gros sens pratique, d’un caractère aimable et, ce qui est plus remarquable, d’une bonne constitution. Elle avait eu trois fils avant la naissance de Catherine et au lieu de mourir en mettant cette dernière au monde, comme on pourrait s’y attendre, continua à vivre, et cela pour avoir encore six enfants, les voir grandir autour d’elle et jouir elle-même d’une excellente santé. On dit toujours d’une famille de dix enfants que c’est une belle famille, du moment qu’elle compte assez de têtes, bras et jambes pour chacun, mais les Morland avaient peu d’autres droits pour prétendre à ce titre, car ils étaient dans l’ensemble des plus quelconques, et Catherine fut pendant de nombreuses années aussi quelconque que n’importe lequel d’entre eux. » p.9-10
* Dans mon édition, il est écrit que « ce prénom de Richard que Jane Austen semble reprocher à Mr. Morland serait une allusion à une plaisanterie entre Jane et sa sœur Cassandra au sujet d’un certain Richard Harvey ».
« Elle lut tous ces ouvrages que doivent lire les héroïnes pour emplir leur mémoire de ces citations qui s’avèrent tellement utiles et tellement apaisantes dans les vicissitudes de leur existence mouvementée. » p.12
« Il faut à présent décrire un peu Mrs. Allen, pour que le lecteur puisse juger dans quelle mesure ses actions favoriseront par la suite le climat de désolation de cette œuvre, et comprendre comment elle risque de contribuer à réduire la pauvre Catherine à l’infortune et au désespoir que peut décrire le dernier tome d’un roman, si elle y contribuera par son imprudence, sa vulgarité ou sa jalousie, en interceptant ses lettres, en ruinant sa réputation ou en la chassant de chez elle. » p.17 (cet extrait fait un peu peur à la première lecture, mais rassurez-vous, Jane Austen s’amuse..)
« Mrs. Allen appartenait à cette nombreuse catégorie de femmes dont la société ne peut éveiller d’autre émotion que la surprise à la pensée qu’il s’est trouvé au monde un homme capable de les aimer au point de les épouser. Elle n’avait ni beauté, ni esprit, ni talent, ni distinction. » p.17
« Mrs. Allen avait toujours le plus grand désir d’avoir à Bath des relations nombreuses, et elle le répétait chaque jour après avoir eu la preuve qu’elle n’y connaissait absolument personne. » p.23
« Il parlait avec beaucoup d’aisance et d’esprit, et il y avait dans ses manières une malice et une gaieté qui forçaient l’attention, bien que Catherine ne s’en rendît pas très bien compte. » p.23
« Mrs. Thorpe était une veuve et une veuve sans fortune. Elle avait un excellent caractère ; c’était une femme bonne et une mère indulgente. Sa fille aînée était pour sa part d’une grande beauté et les plus jeunes, en ayant la prétention d’être aussi belles que leur sœur, en imitant son air et en s’habillant dans le même style, étaient tout à fait charmantes.
Cette brève description de la famille Thorpe a pour but de remplacer l’inévitable, interminable et minutieux récit détaillé que Mrs. Thorpe ferait elle-même sur ses aventures passées, ses souffrances… récit que l’on devrait s’attendre à voir occuper les trois ou quatre chapitres suivants ; on y verrait l’indignité des lords et des avoués occuper le devant de la scène et l’on y trouverait rapportées par le menu des conversations vieilles de vingt ans. » p.34
« Si une matinée pluvieuse les privait d’autres plaisirs, elles tenaient quand même à se voir au mépris de la pluie et de la boue, et s’enfermaient ensemble pour lire des romans. Des romans, oui, car je refuse d’obéir à cette coutume mesquine et peu politique qu’adoptent si souvent les auteurs et qui consiste à déconsidérer, par une censure des plus méprisantes, le genre d’œuvres même dont ils sont en train d’accroître le nombre. Ils rejoignent là leurs pires ennemis pour octroyer à de tels ouvrages les épithètes les plus cruelles et n’autorisent presque jamais leur héroïne à lire des romans. […] Je ne saurais défendre une telle attitude. Laissons aux critiques le soin de dénigrer à loisir toute effusion d’imagination, laissons-leur le soin de parler, à propos de tout nouveau roman et en un style rebattu, de la camelote sur laquelle ahanent de nos jours les presses. […] Bien que nos productions aient offert aux lecteurs un plaisir plus grand, plus sincère que celles d’aucune autre corporation littéraire en ce monde, aucun genre, jamais, ne fût plus décrié. Quelle qu’en soit la cause, la vanité, l’ignorance ou la mode, nous avons presque autant d’ennemis que de lecteurs, et […] il semble presque correspondre à une volonté générale de décrier le talent et de mésestimer le travail du romancier, de dédaigner des œuvres qui n’ont pour les recommander que le génie, l’esprit et le bon goût. » p.37-38 (je m’excuse pour la longueur de celle-ci..)
« Par la force de l’habitude, elle n’était guère dérangée par les remarques et exclamations de Mrs. Allen qui, étant donné le vide de son esprit et son incapacité à penser, ne parlait jamais beaucoup mais ne pouvait jamais non plus rester tout à fait silencieuse. » p.65
« Elle souffrit cependant le mercredi soir d’une insomnie de dix minutes […] » p.80
Et enfin, pour finir, un extrait que je trouve particulièrement bien écrit, et qui m’a fait aimer plus encore le personnage d’Henry Tilney :
« Je dois finir de lire quelques brochures avant de pouvoir aller dormir, dit-il à Catherine, et les affaires de la nation m’occuperont peut-être encore quand vous serez endormie depuis bien longtemps déjà. Pouvons-nous, chacun de notre côté, mieux employer notre temps ? Mes yeux se fatigueront pour le bien d’autrui, et les vôtres, par le sommeil, prépareront les ravages qu’ils feront demain. » p. 204
Autour du livre :
- Jane Austen est une écrivaine anglaise née le 16 décembre 1775 et décédée le 18 juillet 1817. Elle a d’abord connu le succès avec la parution de « Raison et sentiments » en 1811 (publié de façon anonyme), « Orgueil et préjugés » en 1813, « Mansfield Park » en 1814 et « Emma » en 1816. Deux autres de ses romans, « Northanger Abbey » et « Persuasion« , ont tous deux été publiés de manière posthume en 1818. Elle a commencé en janvier 1817 son dernier roman, qui sera nommé « Sanditon« , mais ne l’a pas achevé.
- La page Wikipédia qui lui est consacrée est tellement bien faite que je ne peux que vous diriger vers elle pour en savoir plus sur cette superbe auteure.
Cette lecture entre dans le cadre du challenge « Gilmore Girls » organisée par Karine.
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